La pire menace ? La division !
L’
Empereur Joseph ii d’Autriche nous
a quittés ce 20 février 1790 dans une tristesse morne. Aussi morne que l’épitaphe
qu’il a laissé avant de partir : « Ci-gît Joseph, qui n’a pu réussir en rien ». Cette absence de
réussite serait à l’origine de sa santé déclinante, de sa grande tristesse, et
de son trépas. A-t-il vraiment tout raté ? Pas forcément, si l’on se place
du point de vue des peuples cherchant à sortir de l’oppression. Ce réformateur
leur a donné les idées pour cheminer vers le progrès. Son intransigeance bien
connue et son manque de respect pour les peuples qu’il dominait ont fini par
les faire sortir de leur torpeur et les faire se révolter. Ainsi en particulier
aux Pays-Bas Autrichiens qui, depuis la réunion des Etats Généraux de toutes
les provinces le 7 janvier 1790, sont devenus les Etats Belgiques Unis.
Unis ?
Si seulement... Depuis la libération de Bruxelles, la débandade des troupes
autrichiennes qui s’en est suivie et la libération de tout le pays, une crainte
se confirme. Cette révolution, qui paraissait bien partie, est en train de
pourrir sur place du fait de la division toujours plus profonde entre ses
acteurs. Comme on l’a déjà dit, ces derniers se répartissent entre démocrates
partisans des réformes votées par une assemblée nationale – les Vonckistes – et
les légitimistes, partisans du retour aux anciennes coutumes provinciales, aux
Etats et leur division en trois ordres – les Statistes. Ce sont ces derniers
qui ont pris le dessus dès l’entrée des vainqueurs à Bruxelles. Les Statistes,
emmenés par Van der Noot, se sont appropriés tout le bénéfice de la Révolution,
dont les Vonckistes sont pourtant les principaux artisans, et en ont évincé ces
derniers. C’est donc sous l’égide des Statistes que les Etats Généraux se sont
réunis début janvier et ont adopté, pour les Etats Belgiques Unis, une Constitution
à l’Américaine laissant de larges attributions aux provinces et à leurs Etats,
et à un Congrès souverain des attributions limitées à l’armée, aux Affaires
étrangères et à la frappe des monnaies. Aucun concours de peuple dans cette
nouvelle Constitution ! Les Vonckistes sont opposés à ce texte et ne se
gênent pas pour le faire savoir. Malheureusement, les Statistes et Van der Noot,
bien installés au pouvoir, pourchassent maintenant leurs amis d’hier. Et ils
peuvent même s’appuyer sur une bonne partie de la population qui, malgré la
volonté générale de se débarrasser de l’Autrichien, se méfie des Vonckistes,
vus comme proches des patriotes français, jugés trop anticléricaux par une
population encore très attachée au culte. Combien de temps pourra tenir ce nouvel
Etat, en proie à un début de guerre civile ?
Cet
exemple doit nous faire prendre conscience de la fragilité de l’unité nationale
et d’une révolution, de notre Révolution. Car nous ne sommes guère mieux lotis.
L’Assemblée Constituante et le monde politique des districts parisiens sont
loin de vivre dans la plus grande unité. L’Assemblée est toujours constituée en
partie de députés aristocrates déterminés à revenir à l’ancien ordre. Ceux que
l’on appelle les Monarchiens, désireux se limiter aux seules conquêtes du 4
août, se sont rapprochés des précédents depuis les événements d’octobre. L’aristocratie,
loin d’être abattue, cherche non seulement à faire refluer la Révolution, mais
aussi à en protéger le Roi, dont l’enlèvement a déjà été projeté plusieurs
fois, Favras étant le dernier en date à y avoir pensé. Les « Constitutionnels »,
partisans d’une monarchie tempérée par une assemblée législative, sont de loin
les plus nombreux, mais divisés eux-mêmes entre modérés et radicaux. Enfin, il
y a les plus radicaux, les plus proches du peuple, symbolisés notamment par le
district des Cordeliers, qui a dernièrement refusé de livrer « l’Ami du
Peuple », Marat, à la garde nationale, venue l’arrêter pour avoir accusé,
pourtant fort justement, Necker de « sacrifier
le bonheur de la nation aux banquiers ».
Nous
ne sommes donc nullement épargnés par les ferments de la division, y compris
dans le sein du peuple, dont une bonne partie se passionne pour des pamphlets
aristocratiques, ou voit d’un mauvais œil les mesures anticléricales récemment
adoptées, comme la mise à la disposition de la nation des biens du clergé, ou l’interdiction
des vœux monastiques. Les divisions présentes et futures dues au problème
religieux peuvent se révéler dangereuses…
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