Peurs et révoltes
Le
séisme de la prise de la forteresse de la Bastille a forcé le Roi et la cour à
changer leur fusil d’épaule. Le Roi a fini par reconnaître sa « défaite »
en se rendant à l’Hôtel de Ville de Paris et en arborant la cocarde tricolore,
le 17 juillet. Les esprits n’ont pas été calmés pour autant, bien loin de là…
Le
complot aristocratique est toujours soupçonné. Le Roi n’a-t-il pas rassemblé de
nombreuses troupes autour de Paris ? La toute nouvelle Assemblée Nationale
n’est-elle pas menacée à Versailles ? L’intendant de Paris, Bertier de
Sauvigny, ne s’est-il pas vanté de « faire
manger de l’herbe » au peuple, lui qui était soupçonné de spéculation
sur le blé en tant que responsable de l’approvisionnement de Paris, en
compagnie de son beau-père Foullon ? En cette période, toujours difficile
de « soudure » des récoltes, qu’importe que ces paroles aient été
prononcées ou inventées ? Qu’importe que ces soupçons soient avérés ou
fantaisistes ? En ces temps d’effervescence politique et sociale, de crise
économique et frumentaire, il n’en fallait pas plus pour mettre en branle tout
le petit peuple parisien et déchaîner sa fureur. Fureur dont Bertier de
Sauvigny et Foullon ont fait les frais, victimes de la justice populaire et de
la cristallisation des haines sur leurs personnes. Même les officiers publics,
même l’indignation du très populaire La Fayette n’ont pu empêcher cela. Un peuple qui a peur,
qui est furieux, est incontrôlable.
Et
Paris est loin d’être un cas isolé. Tout le royaume est touché en cette fin de
juillet. L’annonce du renvoi de Necker et/ou celle de la prise de la Bastille
ont provoqué des réactions dans de nombreuses villes. A cela s’ajoute, comme à
Paris, la bonne vieille peur du complot aristocratique visant à affamer le peuple.
Ainsi sont nées des peurs mettant en scène des bandes de brigands à la solde
des aristocrates, parcourant les campagnes en vue de détruire les récoltes. Enfin,
la peur de voir des troupes étrangères envahir le territoire s’est mêlée à
cette peur séculaire pour faire un mélange détonant.
Le
plus extraordinaire dans ce mouvement est que d’après nos informations, ils n’a
pas fait tache d’huile depuis Paris. Des peurs sont nées spontanément dans
plusieurs régions sans forcément de liens entre elles. De leur point de départ,
elles semblent en revanche se diffuser largement. Partout les causes sont les
mêmes, et partout les réactions sont similaires. Dans de nombreuses villes, des
gardes bourgeoises se sont créées pour la défense de la cité et de ses
citoyens. Dans les campagnes, les paysans se sont armés et se regroupent à la
moindre alerte, voire se sont joints aux gardes bourgeoises dans certains cas,
à l’exemple de Bourgoin, en Dauphiné. Tout cela avec une particulière rapidité.
Cependant, il s’est tout aussi vite avéré que les dangers redoutés étaient
imaginaires. Aucune troupe étrangère, peu de brigands ont été vus.
Seulement,
l’armement des populations et le constat de l’absence de danger n’ont pas
ramené le calme. En maints endroits, les paysans se soulèvent contre leurs
seigneurs, exigeant leurs papiers pour les brûler, brûlant les châteaux en cas
de résistance. Les bourgeois sont parfois débordés et doivent, à leur corps
défendant, se mettre à la tête des armées de paysans, à l’exemple encore une
fois de Bourgoin. Des troubles parfois violents ont été rapportés, tels ceux du
Mâconnais en Bourgogne, où les bourgeois de Mâcon, se sentant menacés dans
leurs biens, se sont organisés en armée pour mettre au pas les émeutiers des
campagnes et ramener l’ordre. La peur initiale s’est clairement transformée en
une révolte antiseigneuriale. Une révolte qui a mis à profit l’armement des
populations, ainsi que le chaos au sommet du pouvoir, et qui semble en passe de
mettre à bas ce système féodal que la France connaît depuis des siècles.
Plusieurs
questions se posent maintenant à la nouvelle détentrice du pouvoir législatif
qu’est l’Assemblée Constituante. Y a-t-il des responsables et faut-il les juger ?
Il sera dur d’y répondre étant donné d’une part l’ampleur des mouvements, d’autre
part le rejet de la responsabilité par les aristocrates et les révolutionnaires
les uns sur les autres. Quelle va surtout être la façon de sortir de cette
crise d’angoisse qui s’est transformée en une colère générale ? La
Constituante va-t-elle, tels les bourgeois de Mâcon, réprimer les mouvements ?
Elle n’en a pas les moyens et ne le veut peut-être pas. Va-t-elle suivre le
mouvement de réforme qu’elle a engagé depuis qu’elle a décidé de s’opposer
frontalement au pouvoir royal ? Pour calmer durablement la colère
populaire, n‘est-il pas temps d’en finir avec la féodalité, qui n’a plus sa
place dans la société telle qu’elle se présente en cette année 1789 ?
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