Le
jour est enfin arrivé, après neuf mois d’une attente nerveuse, tant socialement
que politiquement. A peine sont effacées les stigmates de l’émeute du faubourg
Saint-Antoine de la fin du mois d’avril que les yeux de la capitale se tournent
vers les ors de la salle des Menus Plaisirs de Versailles, lieu de réunion des
Etats Généraux.
Cependant,
dès avant ce 5 mai, les critiques déçues fusaient déjà, notamment de la part du
Tiers-Etat. Elles en particulier des distinctions qui leurs sont imposées par
rapport aux ordres privilégiés : des tenues plus qu’austères contrastant
avec le luxe et les couleurs affichés par la noblesse et la tranche supérieure
du clergé ; une dernière homélie adressant les hommages et respects au Roi
du clergé et de la noblesse, et les « très humbles supplications » du
Tiers-Etat. Cela n’a pu que choquer les députés du Tiers-Etat qui ne sont pas
venus dans l’optique de supplier le Roi, mais de faire valoir les droits
politiques de leur ordre, tout particulièrement de la bourgeoisie des villes,
devenue au fil du temps la catégorie la plus riche de la Nation au détriment de
la noblesse déclinante. Mais à la fin de la séance du 5 mai, les députés
n’étaient pas plus rassurés. Dans son bref discours, mainte fois retouché, le
Roi ne fut qu’indécision, ne tranchant toujours pas sur la question du vote par
tête et s’en remettant à l’assemblée. Or nul n’est besoin d’être devin pour se
douter que malgré les recommandations et les appels royaux à la sagesse, cela
sera très difficile et risque de provoquer des blocages. De leur côté le Garde
des Sceaux Barentin et le Contrôleur général des Finances Necker, malgré un
discours fleuve de ce dernier, ne furent qu’imprécision, notamment sur la
question de la vérification des pouvoirs des députés : en commun ou en
chambres séparées ? Cédant à la tradition, clergé et noblesse se sont
retirés pour les vérifier séparément, malgré quelques nobles libéraux ayant
réclamé la vérification en commun. Le Tiers, lui, a refusé la tradition et
gardé place dans la salle des Menus Plaisirs, se contentant de réclamer la
vérification en commun et d’attendre. Voilà les Etats Généraux à peine
commencés et déjà doublement bloqués, voire exposés à voir les ordres
s’affronter entre eux, voire en interne. D’où la question de savoir si l’on
peut croire en leurs capacités de réforme.
Mr
Brissot semble y croire et refuse de prêter foi aux discours pessimistes. Il appelle
le Tiers-Etat à adopter l’attitude de ses députés : avoir confiance en son
bon droit et attendre calmement mais fermement, sans faire aucune concession
tant qu’il ne lui en sera fait. Mais cela peut demander beaucoup de temps et il
n’est pas certain que l’attente ferme l’emportera sur l’impatience qui agite
Paris, et particulièrement le quartier du Palais Royal. Les libelles et
orateurs, tous plus enflammés les uns que les autres, s’y bousculent
radicalisant l’esprit des foules de plus en plus nombreuses de leurs auditeurs
ou lecteurs. Les Etats Généraux sont bloqués. Les députés du Tiers-Etat,
conscients d’être dans leur bon droit en réclamant un vrai poids représentatif
pour la catégorie désormais la plus riche de la Nation, semblent près à
attendre longtemps. Cependant, un mouvement populaire massif pourrait, d’ici
peu, lui aussi venir réclamer ses droits et bousculer ce (trop) long cérémonial
malgré les appels à la prudence et à la patience. L’avenir nous le dira.
Quoi
qu’il arrive, le royaume ne sera pas de suite en mesure de suivre l’exemple des
Etats-Unis d’Amérique qui, quelques mois après l’adoption d’une constitution,
ont réussi à faire taire leurs querelles internes entre fédéralistes (partisans
d’un lien étroit entre les Etats) et anti-fédéralistes (partisans de la
souveraineté des Etats). Ils ont ainsi pu élire leur premier président en la
personne de Georges Washington, l’un de leurs illustres pères fondateurs. A
ceci près qu’il leur aura fallu six longues années depuis le départ des Anglais
en 1783 pour réussir à aplanir toutes les oppositions et franchir les obstacles
économiques laissés par leurs anciens colonisateurs à la manière d’un cadeau de
départ. Les Etats Généraux ne sont en tout cas pas sur la bonne voie à l’heure
actuelle et ne le seront pas avant des années eux non plus.
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